"Un système corrompu et opaque au cœur de l'Église"
Frédéric Lenoir, philosophe
et historien des religions (EHESS), auteur de nombreux bests-sellers, dont La
Guérison du monde, estime que "Benoît XVI n'avait plus la force face à
ces scandales".
Il est de notoriété publique qu'il y a un certain nombre de prélats homosexuels au Vatican, certains ayant des contacts avec des laïcs ou des prostitués homosexuels. C'est également vrai que le pape a nommé, suite à l'affaire du "Vatileaks", trois cardinaux pour faire une enquête approfondie sur ce qu'il se passe à la curie romaine. Le 17 décembre, il lui a été remis un rapport de 600 pages qui a été sans doute été un élément important dans sa décision de démission. Reste à savoir si ce rapport montre qu'un certain nombre de prélats homosexuels, comme l'écrit la presse italienne, ont été soumis à un chantage, si des laïcs ont des "preuves", peut-être des films ou des photographies pas très "catholiques". Si l'information était vraie, il pourrait s'agir de prélats qui maintiendraient un système de corruption au sein même du Vatican, système de corruption qui a été révélé par l'affaire du "Vatileaks", face à un chantage lié à leurs pratiques sexuelles. Car rappelons que l'Église condamne toute relation sexuelle en dehors du mariage, impose la chasteté aux évêques, et condamne fermement l'homosexualité. On est devant une contradiction flagrante qui frappe au cœur même du Vatican.
*Cette contradiction peut-elle nuire à l'image de l'Église auprès des
croyants?
Une partie des fidèles sont choqués et s'éloignent de l'institution parce qu'ils perdent confiance ; d'autres sont dans le déni et mettent tout cela sur le dos de mensonges des médias. Une troisième partie des fidèles tolère le fait qu'il y ait des failles humaines chez les hommes d'Église. Cela ne les détourne pas de leur attachement à l'Église, même s'ils réprouvent ces pratiques et en souffrent.
Une partie des fidèles sont choqués et s'éloignent de l'institution parce qu'ils perdent confiance ; d'autres sont dans le déni et mettent tout cela sur le dos de mensonges des médias. Une troisième partie des fidèles tolère le fait qu'il y ait des failles humaines chez les hommes d'Église. Cela ne les détourne pas de leur attachement à l'Église, même s'ils réprouvent ces pratiques et en souffrent.
*Des observateurs qualifient ces révélations de fantasmes…
Les affaires révélées ces dernières
années, en matière de corruption, de liens avec la mafia et de scandales
concernant la pédophilie, ne sont pas des fantasmes. La déliquescence au sein
de la curie romaine est indéniable. L'affaire du "Vatileaks" a révélé
les rivalités profondes entre les prélats qui veulent maintenir une opacité et
ceux qui veulent une transparence. Ces derniers sont liés à l'ex-majordome du
pape Paolo Gabriele, un homme très pieux, qui a sans doute agi par amour de
l'Église et qui vient d'être gracié par le pape. Benoît XVI était au courant de
bien des dérives, mais n'agissait pas. La démission de Benoît XVI est pour moi
le signe qu'il n'avait plus la force de faire face à ces querelles intestines,
à ces scandales à répétition.
«Plus
les prélats sont liés au pouvoir, plus ils sont soumis à de fortes tentations»
*Est-ce la fin du culte du silence,
propre au Vatican?
On a longtemps sacralisé
l'institution, quitte à étouffer les scandales, à sacrifier les gens, les
enfants même, avec les affaires de pédophilie. C'est un tournant historique de
l'Église, on assiste à une désacralisation de l'institution : des laïcs pieux
et certains prélats sont maintenant prêts à dénoncer publiquement les dérives
de l'institution ou de certains hauts responsables du Vatican parce qu'elles
sont en contradiction flagrante avec les principes évangéliques.
*L'Église a toujours été confrontée à
des scandales.
Les dérives de pouvoir et
financières, comme les scandales sexuels, ont émaillé son histoire. Durant le
Haut Moyen Âge, prêtres et évêques se sont enrichis en vendant des sacrements.
La simonie a été condamnée par la suite, durant la réforme grégorienne. Le pape
Grégoire VII, au XIe siècle, a joué un rôle considérable pour réformer
l'Église, qui faisait face à une double crise : d'une part, morale, avec la
vente des reliques, des sacrements, et les mœurs dissolues du clergé; d'autre
part, politique, avec sa dépendance étroite du pouvoir impérial. La réforme
grégorienne, qui a duré plus de deux siècles, a remis de l'ordre dans tout cela
: la fameuse querelle des investitures (nomination des évêques et des pères
abbés) a finalement été gagnée par le pape contre l'empereur et elle a été
accompagnée d'un fort sursaut spirituel, avec la réforme cistercienne,
notamment. À partir du XIIIe siècle, s'est à nouveau ouvert une ère de
décadence. L'Église s'est enrichie, des
monastères sont devenus des lieux de corruption. Cela a débouché sur la
réforme des ordres mendiants pour rappeler la nécessité de la pauvreté, jusqu'à
la grande crise de la Renaissance, avec notamment la vente des indulgences par
des prêtres (réductions de peines du purgatoire), la dissolution des mœurs du
clergé, les papes corrompus qui nommaient leurs enfants cardinaux, etc. Cette
décadence a débouché sur le schisme avec les protestants. Il s'en est suivi le
mouvement de la Contre-Réforme, qui a renforcé la discipline ecclésiale et la
spiritualité catholique. Tous les deux ou trois siècles, l'Église a ainsi connu
de grandes crises qui ont débouché chaque fois sur un nouveau souffle.
*Quelle est la dernière grande
réforme?
Le concile Vatican II (1962-1965),
qui n'est pas la conséquence d'une crise des mœurs, car l'Église des XIXe et
XXe siècles était plus morale que par le passé. Le problème de l'Église tenait
à son intransigeance par rapport à la modernité, son refus de la liberté de
conscience, son opposition à l'évolution de la société. Le concile Vatican II a
eu pour visée de réconcilier l'Église avec le monde moderne, à accepter la
liberté de religion, d'expression, à alléger la liturgie pour la rendre plus
proche des laïcs… On aurait pu
penser qu'après Vatican II, elle avait fait le ménage. Mais il
restait un système corrompu et opaque au cœur même de l'institution. Reste une
grande interrogation concernant la mort de Jean-Paul Ier, ce pape réformateur,
qui a annoncé vouloir s'attaquer au scandale de la Banque du Vatican et qui est
décédé quelques jours après, de manière énigmatique. La Curie a refusé que son
corps soit autopsié et qu'une enquête soit ouverte.
*Sexe, pouvoir et argent semblent donc régir la curie romaine?
Une partie de la curie. Mais ce sont là les trois grandes tentations humaines.
Et les hommes d'Église cèdent parfois aussi, comme les autres hommes, à ces
trois tentations!
*Malgré l'Esprit saint…
La théologie chrétienne nous dit que l'esprit saint ne peut pas faire
grand-chose pour un homme qui est avide de pouvoir, d'argent, de luxure. Il ne
peut entraver le libre arbitre. Cette corruption choque certains fidèles qui
idéalisent la curie romaine. Ils imaginent que les hommes du
*Assainir la curie romaine, cela sera
la première mission du prochain pape?
J'en suis convaincu. Le prochain pape
devra faire une grande réforme de la curie. Cela pourrait aller jusqu'à
remettre en cause l'État du Vatican, qui est un résidu des anciens États
pontificaux. Il pourrait y avoir une décision historique de supprimer le
Vatican comme État temporel et que le pape soit simplement un représentant
spirituel. Ce serait une décision prophétique pour revenir à l'idéal du message
évangélique. Mais je n'y crois pas trop. Un autre souci pour l'Église, c'est
qu'aujourd'hui il n'y a plus de grandes figures de sainteté qui puissent
polariser l'attention des fidèles vers des modèles positifs, comme l'abbé
Pierre, mère Teresa, sœur Emmanuelle ou Dom Helder Camara… C'est comme s'il
était beaucoup plus dur aujourd'hui de vivre de manière héroïque l'Evangile.
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